TRIBUNE : LE JOURNAL DU DIMANCHE
18 FEVRIER 2023
Retraites : « Il faut généraliser la capitalisation collective en complément de la répartition »
Des entrepreneurs et des économistes plaident pour que le système de retraites ne repose
pas uniquement sur la répartition, mais s’appuie également sur un principe de capitalisation
collective, en donnant l’exemple du modèle des pharmaciens, et de leur caisse de retraites
complémentaire, la CAVP.
« S’agissant des retraites, les réformes douloureuses se succèdent depuis trente ans. Les
cotisations ont augmenté, l’âge de départ a reculé, les modalités de calcul et de réévaluation
des pensions ont été durcies. Cela réduit aussi bien le pouvoir d’achat des actifs que celui des
retraités. Un sentiment de lassitude voire d’exaspération s’installe sans que les déficits ne
disparaissent.
Immanquablement, la tension va monter plus encore. Les projections sont claires. Si l’on ne
réagit pas, le pouvoir d’achat des aînés va drastiquement baisser. Selon le Conseil
d’orientation des retraites, il reviendra en 2070 au niveau des années 1980, avec une baisse
du pouvoir d’achat relatif des retraités de l’ordre de 20 % par rapport au reste de la
population.
Ce recul est la conséquence mécanique d’une démographie chancelante et d’un financement
quasi exclusif des retraites au jour le jour par la répartition dans le secteur privé. Les
cotisations sociales du moment financent les retraites du moment. Avec le contre-choc du
baby-boom, le fameux théorème d’Alfred Sauvy – « Ce sont les enfants d’aujourd’hui qui feront
les retraites de demain » – se retourne contre nous. De 1950 à aujourd’hui, la fécondité a chuté
de 3 à 1,8 enfants par femme. Moins d’enfants, c’est moins d’actifs, moins de cotisants, moins
de retraites.
Cela rend la situation inextricable et repose la question de la place du collectif. Limiter le
financement des retraites obligatoires à la répartition conduit à paupériser la masse des futurs
retraités du privé. Cela crée aussi un monde à deux vitesses avec, d’un côté, une masse
tributaire de retraites modestes, et de l’autre, ceux qui épargnent et limitent ainsi l’érosion
de leur pouvoir d’achat à la retraite.
En France, les régimes obligatoires de retraite des salariés reposent exclusivement sur la
répartition. Ce mode de financement, intéressant dans les années 1950 caractérisées par un
sursaut inédit de la natalité, est aujourd’hui moins attractif. La répartition était aussi rentable
qu’un placement rapportant 9 % pour la génération née en 1920. Son rendement avoisine 2,5
% pour la génération 1950. Pour la génération 2000, ce sera moins de 2 %. Le tout répartition
est particulièrement pénalisant pour le pouvoir d’achat. Ce n’est pas une surprise,
l’ordonnance d’octobre 1945 sur les assurances sociales soulignait qu’« il n’est pas douteux
que le régime de la répartition est plus onéreux que celui de la capitalisation ».
C’est pour cela qu’à la Libération, les pouvoirs publics comme les partenaires sociaux ont
envisagé la mise en place d’un système mixte alliant répartition et capitalisation obligatoires.
L’histoire a voulu que la capitalisation reste facultative. Pour autant, les quelques professions
qui ont eu la clairvoyance de réinstaurer des capitalisations obligatoires constatent que c’est
une réussite. C’est notamment le cas des pharmaciens via la CAVP (Caisse d’Assurance
Vieillesse des Pharmaciens). Une partie de leur retraite complémentaire repose sur la
capitalisation collective, ce qui permet d’épauler leur répartition moins rentable en raison de
la démographie. C’est aussi le cas des 4,5 millions de fonctionnaires qui sont affiliés d’office
depuis 2005 à la retraite additionnelle de la fonction publique (RAFP), un fonds de pension
géré de façon paritaire, investi en partie en actions françaises et étrangères, avec un
rendement de 5,6 % par an en moyenne depuis quinze ans.
Pour éviter que le pouvoir d’achat des futurs retraités ne baisse trop, il faut généraliser ces
dispositifs de capitalisation collective en complément de la répartition. Continuer à entretenir
l’illusion d’une répartition pouvant financer, à elle seule, des retraites attrayantes conduit
inéluctablement à la réduction des prestations sociales collectives, à l’opposé de la tradition
française.
Les partenaires sociaux, qui cogèrent les retraites complémentaires françaises depuis 1947,
gagneraient à s’emparer de ce sujet. L’Agirc-Arrco dispose d’une réelle légitimité. Elle
distribue des retraites par répartition depuis plus de soixante-quinze ans sans recourir à
l’endettement. Elle pourrait créer un équivalent de la RAFP, qui fonctionnerait au profit de
tous les salariés du privé. Ce serait la meilleure façon de limiter le recul du pouvoir d’achat des
futurs retraités. Cela soutiendrait aussi la croissance, en facilitant le financement des
entreprises et des chantiers d’avenir, en particulier ceux liés à la transition vers une économie
décarbonée. La société française a besoin de solutions porteuses d’espoir, faute de quoi le
collectif, comme la démographie, déclinera. »
La liste des signataires
François Asselin, président de la CPME
Thibaut Bechetoille, ancien président de CroissancePlus
Philippe Berthelot, président de la CAVP
Philippe Desfossés, ancien directeur de l’ERAFP
Xavier Fontanet, ancien président d’Essilor
Audrey Louail, Présidente de CroissancePlus
Cécile Philippe et Nicolas Marques, Institut économique Molinari
Christian Saint-Étienne, économiste universitaire